Articles par Claire

Étudiante en droit passionnée, j'utilise la magie (et ce blog !) pour m'interroger sur les grandes questions morales qui entourent l'application de la loi et l'idée de Justice.

De la vérité devant la justice magique – 1

Dans le Monde Magique de Harry Potter, tout comme dans bien d’autres univers fantastiques ou de science fiction, il existe des moyens magiques ou scientifiques d’arracher la vérité. Cela soulève des questions morales d’importance…

Les êtres humains semblent avoir trouvé un équilibre précaire en le droit. Eux qui paraissent foncièrement violents, et peinent à établir une harmonie entre leurs droits et les droits d’autrui, comptent sur la justice pour les protéger.

Aujourd’hui, la société tout entière est si judiciarisée qu’un obstacle à son action peut paraître insoutenable : comment accepter que votre voisin mente, et vous empêche d’être indemnisé de votre dommage ? A fortiori, comment accepter qu’un meurtrier prétende être innocent, et puisse s’en sortir à bon compte ? Chaque personne en son bon droit peut se sentir légitimement frustrée que l’on accorde aux mis-en-cause des droits fondamentaux…

Chez les moldus, la question est vite réglée, dans la mesure où ils n’ont pas les moyens de forcer quelqu’un à dire la vérité. Certes, la torture existe, mais des êtres rationnellement constitués auraient dû comprendre au bout de quelques secondes qu’une personne souffrant atrocement peut tout dire, si bien que son témoignage ou son aveu n’ont plus aucune valeur.

Chez les sorciers, la question est plus épineuse, car nos moyens d’obtenir la vérité sont bien plus fiables. La légilimancie, le véritaserum, le sortilège de l’Imperium sont autant de moyens de connaître la vérité, d’une fiabilité somme toute acceptable. Mais alors, pourquoi ne pas les utiliser contre nos mis-en-cause ?

Nous parcourrons rapidement les différents moyens magiques les plus connus d’extraire la vérité de l’esprit d’autrui, et nous nous interrogerons sur leurs limites. Enfin, nous discuterons de leur opportunité.

Texte initialement publié sur le forum Poudlard12.com.

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De la vérité devant la justice magique – 2

Les moyens magiques d’extraction de la vérité sont multiples. Nous ne nous intéresserons qu’aux plus connus dans ce chapitre, à savoir : les sérums de vérité, le sortilège de l’imperium et la légilimancie.

Les sérums de vérité sont des potions qui obligent celui qui le boit à dire la vérité. Certains sont si puissants qu’ils peuvent mener à des confessions spontanées de secrets, sans même qu’une question n’ait été nécessaire.

Le sortilège de l’imperium permet de soumettre quelqu’un à la volonté de son agresseur. Celui-ci peut exiger de sa victime qu’elle lui dise la vérité. Il est possible de lutter contre ce sortilège avec beaucoup d’entraînement et une certaine force de caractère.

La légilimancie est une science permettant aux sorciers qui la pratiquent de pénétrer l’esprit des autres, et donc de percevoir le mensonge chez leur interlocuteur. Les seules personnes capables d’y résister sont les Occlumens.

A priori, ces trois moyens peuvent être divisés en deux catégories, ceux dont l’utilisation est légale mais réglementée (les sérums et la légilimancie) et celui qui est rigoureusement interdit (l’imperium). Pourquoi ? Qu’est-ce qui les différencie ?

Lorsqu’on se place dans l’objectif d’obtenir la vérité, la différence entre ces moyens est ténue. Dans tous les cas, on obtiendra ce que l’on veut. Et justement ! Avec l’imperium, le risque est que vous obteniez précisément ce que vous voulez, indépendamment de la vérité. Ce risque existe également avec la légilimancie, puisque le regard du Légilimens déforme forcément ce qu’il perçoit chez sa « victime », et il pourrait ignorer, sciemment ou non, des parcelles de vérité. Tout comme sa « victime », d’ailleurs, qui n’est pas plus neutre.

Il est également possible de souligner la différence entre la Vérité pure et la vérité de chacun. En effet, l’esprit humain a maintes fois montré à quel point il est malléable, et facile à manipuler : combien de témoins ont juré avoir vu cet homme, alors que les preuves matérielles prouvent qu’il ne pouvait pas être là ? combien ont confondu deux membres de la même ethnie ? Combien, enfin, succombèrent aux faux souvenirs induits ? Bien trop. Et, à bien y réfléchir, nous tous. Nous ne sommes pas de bons témoins, parce que nous ne faisons pas que voir : nous percevons, nous anticipons, nous extrapolons et surtout nous présupposons constamment. Notre cerveau est conçu pour cela.

Si bien que même les moldus s’intéressent à la question de la fiabilité de la mémoire humaine, de son influence sur les témoignages. Certains vont jusqu’à avancer que la plupart des souvenirs humains furent construits et modifiés au cours de la vie, et ne sont pas authentiques. D’autres évoquent une perception différente des autres ethnies ainsi qu’un esprit humain manipulable.

À partir de ce constat, comment faire confiance à la vérité que le témoin vient de m’avouer sous la contrainte ? Aucun des moyens d’extraction magique ne peut m’assurer que j’ai bien obtenu « toute la Vérité, rien que la Vérité ».

Mais ce n’est pas le seul problème soulevé par ces moyens de contrainte, et c’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.

Texte initialement publié sur le forum Poudlard12.com.

De la vérité devant la justice magique – 3

C’est sans doute pour toutes ces raisons que la justice magique interdit que l’on ne pénètre l’esprit des accusés – du moins sans leur accord. Les éléments de preuve issus de ce genre de méthode ne sont pas non plus retenus.

Les droits élémentaires de la défense s’opposent férocement à ce genre de pratique. En effet, s’il paraît immoral d’autoriser de facto un accusé à mentir sous serment devant le tribunal puisqu’on ne met pas tout en œuvre pour l’en empêcher, il est également illégal de l’obliger à participer à sa propre accusation.

Comme vous l’avez peut-être déjà lu dans des polars juridiques américains, les accusés ont le droit de garder le silence : c’est un droit constitutionnel, qui leur est reconnu dans le 5ème amendement de la Constitution américaine, et qui leur est rappelé dans cette fameuse affirmation des droits « Miranda » depuis 1966.

Ce droit est reconnu dans la plupart des pays occidentaux, et notamment les États appartenant à l’Union Européenne. Ils sont en effet soumis à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits Humains, entrée en vigueur en 1953. Son article 6, relatif à la notion de « procès équitable », est l’un des plus importants. Il donne lieu à de nombreuses condamnations d’Etats pour torture, extorsion d’aveu, non respect du droit à disposer d’un avocat, violation du droit à garder le silence : ce fut notamment le cas en France dans les affaires « Selmouni » et « Tomasi » en 1989, puis « Salduz » (2007), « Dayanan » (2009), « Brusco » (2010)… Bref, depuis l’arrêt « Murray contre Royaume-Uni » en 1996, les droits de la défense sont constamment réaffirmés à travers la protection du droit au silence.

Pourquoi ? Parce que vous pourriez être la pire des crapules que cela ne donnerait pas le droit à votre État de vous condamner sans preuve, sur la base de témoignages biaisés ou de vos déclarations triturées de manière à vous mettre en cause. C’est une question de principes, principes qui parfois choquent beaucoup la population dans les cas de crimes barbares. Mais qui s’expliquent par l’innocence potentielle de chacun.

« Mais alors, découvrons-vite en fouillant dans sa tête s’il est véritablement coupable, et condamnons-le ! » Ce n’est pas aussi simple.

Vous ne pouvez obliger quelqu’un à ne pas suivre la ligne de défense qu’il a choisie. Il a parfaitement le droit de faire valoir des arguments dans le sens de sa défense. Il peut même arriver que pour arriver à la Justice, il faille mentir… les apparences sont parfois trompeuses, comme peut nous montrer la série moldue Accusé.

La Justice n’est pas forcément là où se trouve la Vérité : les juges, comme les accusés, comme les victimes, sont des humains. Aussi insupportable que cela puisse paraître, parce que la justice n’est pas infaillible, parce que la loi n’est pas une formule mathématique appliquée à un cas concret, la Vérité ne mène pas forcément à la justice légale.

Vous estimez que cela vous pose un profond problème moral ? Rendez-vous au prochain chapitre !

Texte initialement publié sur le forum Poudlard12.com.

De la vérité devant la justice magique – 4

Puis-je moralement accepter que moi ou mon voisin puissions être soumis à une méthode d’extraction de la vérité sous prétexte que nous sommes suspects ?

Estimer que l’on n’a pas besoin d’être protégé contre ces méthodes sous le prétexte fallacieux qu’on n’a « rien à cacher », c’est estimer que l’on n’a pas non plus spécialement besoin de la liberté d’expression parce qu’on n’a rien à dire. Ce n’est pas parce que vous n’avez rien de criminel à vous reprocher que vous vous devez d’accepter qu’un légilimens puisse lire vos souvenirs les plus intimes, ou qu’un auror vous arrache vos secrets.

Alors certes, nous avons tous très envie que le suspect dans cette affaire de triple infanticide arrête de se payer notre tête et finisse par enfin cracher le morceau, plutôt que d’essayer de nous faire croire qu’il a indiqué précisément l’endroit où les corps étaient enterrés par le pur effet du hasard. Nous avons tous envie de lui faire ravaler sa mauvaise foi évidente.

Mais n’est-ce pas par la même nous exposer ? Si on commence par lui, ce criminel supposé, pourra-t-on terminer par vous, qui avez peut-être gardé ce livre un peu au-delà du délai imposé par la bibliothèque ?

Et qu’est-ce qui vous dit que la vérité qu’on vous aura arrachée ne se retournera pas contre vous par un ministère public incompétent, maladroit ou mal intentionné ? Notre histoire judiciaire est jalonnée d’erreurs, même manifestes, et d’êtres injustement jetés derrière les barreaux après des procès plus ou moins rondement menés… Placer en la justice humaine une confiance aveugle est une grave erreur. Les lois de notre pays, de l’Union Européenne et l’Histoire nous le rappellent : elle est loin d’être infaillible. Il faut parfois vous en protéger.

Imaginez-vous une seule seconde être capable de résister aux trois méthodes d’extraction de la vérité que nous avons évoquées. Cela voudrait dire que l’on pourrait vous forcer à baisser vos défenses, toutes vos défenses. On pourrait également utiliser la force, pour atteindre la vérité malgré vos tentatives de la protéger. Les Occlumens me rejoindront pour dire que cela tient de la torture.

Et dans le cas où on n’obligerait pas les personnes capables de se protéger à se plier à l’interrogatoire magique, cela créerait une inégalité criante entre les personnes capables de se défendre et les autres. Bien qu’il y ait fort à parier que face à un Occlumens, l’interrogatoire se ferait au Veritaserum… mais tout de même, notez qu’il y a là matière à se questionner.

Texte initialement publié sur le forum Poudlard12.com

De la vérité devant la justice magique – 5

Jusque-là, nous avions surtout évoqué une utilisation des méthodes d’extraction magiques de la vérité sur l’accusé. Mais ce serait également tout à fait possible de les mettre en place sur la victime, ou le(s) témoin(s).

Dans le cas de victimes traumatisées ou d’enfants, par exemple, cette solution pourrait même être bénéfique : elles n’auraient pas à témoigner directement, et pourraient être protégées de leur propre traumatisme. Va pour cet argument, qui est clairement dans le sens de cette utilisation.

Mais encore une fois, ne pourrions-nous pas reconnaître à la victime le droit à la vie privée, même si elle est victime ? Peut-être y a-t-il des détails qu’elle ne souhaite pas révéler à la cour. Peut-être ces quelques détails pourraient être en sa défaveur, ou être utilisés pour paraître en sa défaveur (« on ne vous voit pas vous défendre ! »). Peut-être ses souvenirs seront-ils utilisés directement contre elle. Quelle violence ! Voir sa propre mémoire tournée en dérision ou utilisée pour la discréditer ! Le traitement des victimes par les avocats ou la cour peut d’ores et déjà paraître difficile voire révoltant sans que les souvenirs de la victime ne soient directement utilisés.

D’autant que les mêmes questions se posent que dans le cas de l’accusé : si le souvenir n’est pas immédiatement figé, il pourrait être affaibli par le temps, les manipulations etc. D’autant qu’il existe de nombreuses façons de manipuler magiquement un souvenir, comme nous l’a montré le professeur Slughorn. Certains y arrivent très bien, et il est quasiment impossible de déceler le vrai du faux. Or, si de nombreux procès mettent en lumière une gestion troublante des preuves et des dossiers (notamment dans cette affaire moldue, où des tomes entiers de procédure disparurent mystérieusement) qui ont une légère tendance à disparaître, il pourrait tout à fait être envisageable que l’on altère dans un sens ou dans l’autre un souvenir récolté.

On pourrait également souligner les conséquences psychologiques de voir son propre souvenir exposé à la vue de tous, exposé froidement… L’émotion d’une personne n’est-elle pas également capitale pour comprendre sa détresse ou encore l’impact qu’a eu ce dont elle a été victime ou témoin ? En la privant de faire elle-même le témoignage qu’on lui demande, ne la réduit-on pas à une petite chose fragile, incapable de se défendre, faisant d’elle un simple objet de discours ?

Si la possibilité de recourir à de telles pratiques devient acceptable devant nos tribunaux, elle devrait rester une option rigoureusement encadrée.

Texte initialement publié sur le forum Poudlard12.com